L’ère du pitch permanent : producteurs, médias, créateurs… tous doivent apprendre à capter l’attention.
C’est pop, c’est punchy, c’est pitché
Par François Defossez, Clara Griveau, Anouk Renard, Samy Snider et Louis Dumoulin.
Bonjour à toutes et à tous !
Cette édition est née d’une phrase de Patience Priso, ex-Netflix et producttrice et formatrice : « Pitcher, c’est raconter une histoire qui existe déjà dans la tête de l’autre. » On a eu envie de pousser le fil. Longtemps cantonné aux salles de réunion et aux dossiers de prod, le pitch est devenu la grammaire globale de notre époque : producteurs, plateformes, rédactions, marques, créateurs… tout le monde vit désormais dans l’ère du pitch permanent.
À partir de cet épisode avec Patience, on regarde comment cette logique irrigue tout l’écosystème : des algorithmes de Google qui résument les articles avant même le clic, aux médias qui cherchent des liens plus directs via newsletters et podcasts ; de Netflix qui monte en puissance sur la pub ciblée, à TF1 et M6 qui s’adossent à Amazon pour affiner leurs campagnes ; de Vox Media qui mélange contenus de journalistes et de fans, aux journalistes qui, paradoxalement, se détournent des réseaux sociaux.
En fil rouge, une question : que se passe-t-il quand le pitch prend tellement de place qu’il risque de remplacer le contenu lui-même ? On en parle dans l’article principal, dans le podcast avec Patience Priso, et à travers une sélection de cas et de chiffres qui disent beaucoup de notre économie de l’attention.
Bonne lecture,
François
[Par François Defossez, Head of media chez Cosa]
Dans cette édition, inspirée de notre échange avec Patience Priso, ex-Netflix et fondatrice de PatiencePriso.com, on explore comment l’art du pitch est en train de redessiner la création audiovisuelle, la publicité et même le journalisme.
Longtemps, le “pitch” s’est limité aux tables de production et aux plateaux de tournage. Mais le mot a dérivé. Il s’est échappé des bureaux d’Hollywood pour s’infiltrer dans tous les aspects du quotidien. Aujourd’hui, tout le monde pitche : les marques, les médias, les artistes, les politiques, et partout, surtout sur les réseaux sociaux. Tous doivent désormais savoir se raconter pour espérer exister dans un flux saturé d’informations et de contenus. Et souvent, tout commence par la promesse narrative : une phrase qui capte, résume, vend. Mais non un pitch, ce n’est pas qu’une phrase d’accroche.
Exemple concret : TikTok. Les 3 premières secondes décident si tu scrolles ou pas. Et Patience, l’explique: “Pitcher, c’est raconter une histoire qui existe déjà dans la tête de l’autre”. Traduction : si vous ne faites pas résonner quelque chose qui parle à votre public, l’algorithme passera à autre chose. Et votre attention avec.
Dans l’économie de l’attention, on ne vend plus seulement un contenu : on vend le moment où quelqu’un va le regarder, comment il le regarde, et sous quel format.
Netflix, TF1+, M6+, YouTube : tous ont compris que retenir l’attention est désormais plus stratégique que la produire. Le taux de rétention est devenu le KPI central.
Prenons l’exemple de Netflix : la plateforme adapte désormais ses campagnes publicitaires selon les centres d’intérêt et la mood data issue de Médiamétrie et d’Amazon Ads. Trois ans après le lancement de son offre Standard avec pub, Netflix revendique déjà 10 millions de spectateurs mensuels en France.
De manière concrète, imaginez que vous ouvriez votre appli un soir. Trois recommandations apparaissent. L’une vous parle, les deux autres non. Celle qui vous parle a été construite pour toucher quelque chose de précis dans votre cerveau. Le pitch n’est plus un manifeste adressé à tous, il est ciblé, calculé, presque intime. Il est devenu algorithmique.
Mais saturer l’attention a ses limites. Trop de messages tue le message. Certains créateurs ont compris qu’on pouvait ralentir sans disparaître. Newsletters personnelles, podcasts d’auteur, formats longs et réfléchis : le public apprécie de retrouver une voix singulière. C’est là que le pitch “sincère entre en jeu”. Patience insiste : moins de technique, plus d’alignement. Moins de bruit, plus de sens.
Prenons une marque sur TikTok. Une première vidéo dure 7 secondes. Trois secondes suffisent pour capter l’attention. Ensuite ? Une micro-histoire qui vous parle, vous fait sourire, vous permet de vous identifier. En moins de 30 secondes, l’histoire est racontée.
C’est sous ce format ramassé que nous consommons aujourd’hui le plus de contenus. Au risque que le pitch se substitue au contenu lui-même, appauvrissant la richesse et la complexité du propos. Dans l’économie de l’attention, la valeur se déplace de la profondeur vers l’accroche : capter prime sur comprendre. Cette logique du fragment, nourrie par la « course au scroll », réduit notre capacité à réfléchir et contextualiser (McKinsey, The Attention Equation). Des journalistes du mouvement du slow journalism alertent sur ce glissement : quand le récit devient simple « hook », la pensée critique est fragilisée (Rock & Art, Slow Journalism and the Cultural Attention Economy).
En bref : le pitch est l’étalon narratif de l’époque mais s’il n’est pas immédiatement suivi par un contenu à la hauteur, il peut devenir substitutiel, transformant le « promesse narrative » en « format-finalité », au risque de de banaliser l’information, réduire le débat à des formules et d’affaiblir la pensée critique.
Search Engine Journal montre comment les “AI Overviews” font plonger les clics sur les articles, certains sites passant de 25 % à moins de 3 %.
➤ L’ère du “zero click” accélère la mutation du pitch : il faut convaincre sans clic.
STL News observe un recul de 10–25 % du trafic organique.
➤ Les médias cherchent de nouveaux points de contact directs : newsletters, podcasts, communautés.
Le Monde détaille leur partenariat pour diffuser TF1 dans Netflix en 2026.
➤ Vers un écosystème audiovisuel fluide, sans frontières entre streaming et broadcast.
Les journalistes se détournent des plateformes de médias sociaux, selon une analyse de 11 années de prédictions du Nieman Lab.
➤ Harcèlement, désinformation et propos haineux ont transformé ces outils en menaces pour la crédibilité et la stabilité économique du journalisme.
Aux États-Unis, 60 % du temps télévisuel est désormais consacré au streaming, selon Samba TV.
Ancienne de Netflix et pionnière dans son domaine, Patience Priso incarne cette nouvelle génération de productrices qui savent allier créativité, stratégie et sens des affaires. Au micro de François Defossez, elle revient sur vingt-cinq ans de carrière et décrypte les grandes évolutions du secteur : la montée en puissance des plateformes, l’influence de la data sur les décisions de production, la professionnalisation du pitch et l’importance croissante de la formation pour faire émerger de nouveaux talents. |
Illustration: Lindsey Bailey pour Axios
Aux États-Unis, Vox Media a refondu sa plateforme SB Nation avec un double objectif : rapprocher contenus de journalistes et contributions de fans, et surtout réduire sa dépendance à Google.
Le groupe parle d’un redesign pensé comme une “protection contre l’ère du Google Zero”, où les résultats IA de recherche captent les réponses sans générer de clics.
En misant sur l’engagement communautaire et la fidélité directe, Vox cherche à retenir l’attention à la source plutôt que de la capter par le référencement.
➤ La leçon : l’attention devient un actif propriétaire ; la co-production et la relation directe remplacent le trafic importé. Lire sur Axios
Les Échos rapporte que 10 millions de Français utilisent désormais l’offre de Netflix avec publicité. L’intérêt : un tarif réduit, des contenus ciblés grâce à l’IA, et la possibilité pour Netflix de devenir un acteur média complet.
➤ Le pitch change : la régie interne et les formats publicitaires permettent à la plateforme de contrôler le parcours de l’utilisateur et de monétiser l’attention directement.
Les Échos : lancement du Publisher Cloud d’Amazon Ads pour croiser données de visionnage et signaux d’achat.
➤ Riposte locale : la télévision française adopte la data pour rivaliser avec les géants mondiaux.
📢 Internews relaie le programme européen (3 M€) de soutien au journalisme d’investigation.
➤ Les médias indépendants peuvent candidater pour financer des enquêtes locales et internationales, renforcer leur couverture et développer des formats innovants.
C’est tout pour cette semaine ! Portez-vous bien et à dans 15 jours
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📍 On accompagne des acteurs très différents : de TF1 à L’Humanité , en passant par BooskaP ou Sud Ouest. Du petit média pure player au grand groupe.
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