Deezer, Apple, YouTube… l’automne des rapports de force
« Le travail à la chaîne, c’est l’enfer… sauf pour les machines. » – Charlie Chaplin, Les Temps modernes
Par François Defossez, Clara Griveau, Anouk Renard, Samy Snider et Louis Dumoulin.
Bonjour à toutes et à tous !
Impossible de passer à côté de l’IA musicale après mon échange avec Alexis Lanternier (CEO de Deezer) : la plateforme a choisi la ligne dure face au raz-de-marée de morceaux générés artificiellement. Clara Griveau, notre nouveau renfort chez Cosa et au sein de l’équipe Médiarama, met en perspective cette décision pour nous permettre de mieux en saisir les implications.
Egalement au sommaire de cette newsletter : OpenAI lance sa fonctionnalité Pulse, Apple veut la peau du DMA, et nouvelle maquette des Jours.
Bonne lecture,
François
[Par Clara Griveau, Productrice de podcast chez Cosa]
Souvenez-vous de “Heart on My Sleeve”, ce faux duo entre Drake et The Weeknd généré par IA. Le morceau avait affolé la toile en 2023, avant de disparaître aussi vite qu’il était apparu. Voici une alerte en bonne et due forme : l’IA venait d’entrer par la grande porte dans l’industrie musicale.
Il y a de quoi avoir le moral dans les chaussettes. Surtout quand on découvre que près d’un tiers de la musique Deezer est aujourd’hui générée par intelligence artificielle.
Selon la plateforme, 70 % des écoutes de ces titres sont trafiquées, gonflées artificiellement par des bots. Autrement dit, derrière certains titres qui semblent “cartonner”, ce ne sont pas des auditeurs mais des robots qui cliquent. De quoi donner le ton : l’IA ne se contente pas d’accompagner la création musicale, elle en bouleverse déjà l’écosystème.
Depuis, la vague s’est transformée en raz-de-marée. Jusqu’à 10 000 titres créés par IA sont mis en ligne chaque jour sur les plateformes. Et pas toujours dans les règles de l’art : outre-Atlantique, un musicien a détourné 10 millions de dollars en inondant le marché de faux morceaux boostés par des robots.
28 % de musique générée par IA sur Deezer
Abbey Road - The Botles
C’est dans ce contexte que Deezer a tiré la sonnette d’alarme. Pour faire face à cette déferlante de morceaux artificiels, Deezer a lancé des tags “IA” permettant aux utilisateurs de distinguer clairement les sons créés par machine. Une manière, comme une autre, d’instaurer de la transparence auprès des utilisateurs, mais aussi de prolonger sa stratégie “artist-centric” : rémunérer davantage les artistes humains, et limiter l’emprise des contenus automatisés.
Un pari de différenciation, car tous les acteurs ne semblent pas suivre la même voie. Spotify, de son côté, adopte une posture plus souple. La plateforme a bien fait le ménage en supprimant 75 millions de morceaux “spam” et en durcissant ses règles contre les “deepfakes” vocaux et les sons bâclés (AI slop). Jeudi dernier, changement de cap oblige, le géant suédois est allé plus loin en annonçant un nouveau standard, le DDEX, destiné à pousser les artistes à jouer franc-jeu sur leur recours à l’IA. En bref : on n’interdit pas, on demande d’assumer.
À l’opposé, YouTube et SoundCloud, quant à eux, accueillent largement ces contenus, misant plus sur la quantité que sur la qualité.
Pour les grandes maisons de disques comme Universal, Warner ou Sony, la fermeté de Deezer tombe à point nommé. Elle protège la valeur de leurs catalogues face à un océan de productions artificielles. Et dans un marché dominé par Spotify, le choix est stratégique : plutôt que courir après les volumes, Deezer mise sur la confiance et la qualité.
Un débat qui dépasse la musique
Après les textes, après les images, voici que l’IA s’empare de la musique. La question n’est plus de savoir si l’IA a sa place : elle l’a déjà prise. La vraie interrogation est ailleurs : comment cohabiter avec elle ?
Car ce qui se joue dépasse les playlists. Derrière l’irruption des morceaux artificiels, il y a la valeur du travail artistique, la reconnaissance des créateurs, la frontière entre œuvre et produit. L’IA musicale pose les mêmes dilemmes que celle qui génère du texte ou des images : où placer la limite ? Comment assurer la transparence vis-à-vis du public ? Jusqu’où faut-il inventer une régulation spécifique — droits voisins, copyright, rémunération équitable ?
Et la musique n’est pas seule en première ligne. L’audio dans son ensemble est déjà touché : la start-up américaine Inception Point AI revendique déjà plus de 5 000 podcasts générés automatiquement, soit 3 000 épisodes par semaine, produits pour environ 1 dollar l’unité. Sa dirigeante, Jeanine Wright, assume une stratégie d’inondation du marché, convaincue que ces voix artificielles deviendront des influenceurs à part entière.
Dans ce contexte, l’industrie musicale devient donc un laboratoire grandeur nature des tensions entre innovation et protection des artistes. Avec sa ligne dure, Deezer ne fait pas qu’appuyer sur pause : la plateforme envoie un signal politique autant qu’économique. Et au-delà de ça, elle fixe, d’ores et déjà, un débat qui s’étendra, tôt ou tard, à toutes les industries culturelles.
Le prix moyen des abonnements numériques a augmenté de 13% en 2 ans
Abonnements numériques : le prix moyen a augmenté de +13 % en deux ans
Selon Funds4Media, les prix des abonnements ont bondi de 13 % en moyenne en deux ans dans 101 rédactions européennes. Un indicateur clé de la tension entre recherche de rentabilité et risque de décrochage des lecteurs. Funds4Media
OpenAI lance sa fonctionnalité Pulse
Avec Pulse, ChatGPT passe du modèle “pull” au “push” et envoie chaque matin des briefings personnalisés, fondés sur les centres d’intérêt, l’historique de conversation et, si nécessaire, les apps connectées. Ce basculement accentue la désintermédiation de la découverte, plus tributaire des critères algorithmiques de ChatGPT, et augmente le risque de baisse des visites sur les sites des médias.
OpenAI
Hindsight : une belle application minimaliste (iOS) pour la lecture de vos flux RSS
On vous partage cette application mobile au design minimaliste et aéré qui permet de voir les actualités de la journée sous forme de cartes à scroller horizontalement : simple et efficace. L’application n’est pour l’instant disponible que sur iOS mais une version Android est en cours de développement.
Hindsight
Apple veut la peau du DMA
La firme à la pomme demande carrément l’abrogation du Digital Markets Act, qu’elle juge trop contraignant. Un bras de fer qui va peser lourd dans la relation entre Bruxelles et les Big Tech. Reuters
Nouvelle maquette des Jours (on adore même si c’est pas Cosa ;-)
Au début du mois de Septembre, le média indépendant Les Jours a refondu sa formule graphique avec entre autres une meilleure expérience utilisateur (UX), de nouvelles polices et plus de place accordée à l’image. On vous laisse découvrir grâce à un article très pédagogique sur les nouveautés apportées à la maquette !
Les Jours
YouTube vs BBC : la bataille de l'info
La BBC et les chaînes publiques britanniques réclament plus de visibilité sur YouTube pour contrer la désinformation. Alors que les Britanniques y passent 39 minutes par jour et que la plateforme capte 45% des revenus publicitaires, elles dénoncent un modèle qui fragilise leur mission. Elles demandent une meilleure mise en avant d’infos indépendantes, surtout pour les jeunes, et des conditions commerciales équitables. Leur objectif ? Défendre un journalisme guidé par l’intérêt général face à l’algorithme de Google guidé par le profit.
The Guardian
[Par François Defossez, Head of medias]
Streaming musical, modèle économique et ligne dure face à l’IA : Deezer veut tracer sa propre voie face à Spotify. Dans cet épisode, Alexis Lanternier revient sur la stratégie de différenciation de la plateforme, son rapport aux majors, et son choix d’une musique plus “authentique” à l’heure où les morceaux générés par IA se multiplient. 👉 Écouter l’épisode sur Deezer Sources : Épisode Mediarama |
🤖 JournalismAI Starter Pack (LSE / Polis)
Un guide pratique pour intégrer l’IA générative dans les rédactions, avec cas d’usage, bonnes pratiques et garde-fous éthiques.
🌍 WAN-IFRA – World Press Trends 2025
Le rapport annuel de la fédération mondiale de la presse, avec des chiffres clés sur la diffusion, les revenus et la transformation numérique des éditeurs à l’échelle internationale.
👶 Étude Arcom – Protection des mineurs en ligne (2025)
Une analyse des risques pour les mineurs face aux contenus numériques et des dispositifs de protection existants. Un document clé alors que le DSA impose de nouvelles obligations aux plateformes.
C’est tout pour cette semaine ! Portez-vous bien
Mediarama fait partie de Cosa, cabinet de conseil et agence digitale spécialisée dans les médias.
📍 On accompagne des acteurs très différents : de TF1 à L’Humanité , en passant par BooskaP ou Sud Ouest. Du petit média pure player au grand groupe.
📍On réunit des experts du design, de la tech, de l’acquisition et de la stratégie édito mais aussi des consultants pour le financement, la formation ou la stratégie édito.
Bref, on aime aider les médias à se transformer, innover et trouver leur modèle.
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