Médias: Reprendre la parole sans crier
La Tribune, Google, CNC… le calme comme acte de résistance
Par François Defossez, Clara Griveau, Anouk Renard, Samy Snider et Louis Dumoulin.
Bonjour à toutes et à tous !
L’époque est bruyante. Les débats se font clashs, les infos deviennent alertes, et les algorithmes amplifient ce qui divise. Pas étonnant que plus de la moitié des Français ne fassent pas confiance aux médias pour traiter l’actualité, selon le baromètre La Croix / Kantar Public. Beaucoup jugent les médias “trop sous influence”, ou “qu’ils parlent trop de certains sujets”. Pourtant, certains cherchent à inverser la dynamique. Prenons l’exemple du lancement de La Tribune Dimanche, qui en est un bon symbole : redonner au débat sa place, à la nuance son droit de cité.
Dans ce numéro, on explore cette idée d’une “désescalade médiatique” : comment reprendre la parole sans crier. Entre IA responsable, justice pour la presse indépendante, et innovations apaisées, voici une veille pour retrouver un peu de calme, sans renoncer à la puissance des idées.
Bonne lecture,
François
“Reprendre la parole sans crier” : Anatomie d’une désescalade médiatique
[Par François Defossez, Head of media chez Cosa]
“Reprendre la parole sans crier” : Anatomie d’une désescalade médiatique
1. Un journal qui prend le contre-pied du bruit
Avec La Tribune Dimanche, Tatiana de Francqueville et son équipe parient sur une autre temporalité. Dans un paysage saturé de notifications et de réactions, le simple choix de publier le dimanche relève presque du manifeste.
Mais le papier n’a pas l’exclusivité de cette démarche. Certains médias sur le digital inventent eux aussi des formats d’écoute. Reporterre prend le temps d’enquêter avant de commenter. Et même Le Monde ou Brief.me testent des notifications apaisées : plutôt que d’envoyer 10 alertes par jour, l’appli propose un digest du matin et du soir, avec le contexte et des liens vers des articles de fond.
2. La peur comme bruit de fond
À l’autre extrémité de ce spectre de l’apaisement, la peur. Celle qui s’installe chez les journalistes et médias indépendants, souvent exposés à des pressions juridiques, politiques ou économiques, et qui conduit à l’autocensure ou à une prudence excessive. Face à ces risques, certains médias préfèrent parfois taire certaines enquêtes ou s’abstenir de traiter certains sujets sensibles. Ce repli, s’il peut apparaître comme une stratégie de survie à court terme, contribue paradoxalement à appauvrir le débat public et à renforcer le silence autour des questions essentielles.
C’est précisément pour inverser la charge que le fonds Ripostes a été lancé, porté par des acteurs engagés comme le Fonds pour le pluralisme de la presse (FPL) et Media Defence, une ONG internationale spécialisée dans la défense juridique des journalistes et médias. Dispositif qui veut voir offrir aux journalistes la possibilité de se défendre sans crainte. Une façon de rétablir un équilibre juridique et symbolique : parler sans risquer de tout perdre. L’épisode de Julien Vinzent de Mars Actu, confronté à un procès pour son travail d’investigation locale, illustre ce besoin vital de protection (Mediarama). Comme le dit François Bonnet, “il faut que la peur change de camp”.
3. Les plateformes et la fabrique du vacarme
Les plateformes sociales et les moteurs de recherche, eux, continuent de modeler la manière dont l’information circule.
L’épisode du faux site BrutInfo, qui a usurpé l’identité du média Brut et de journalistes du Monde en diffusant de fausses infos générées par IA (dont un prétendu “bunker présidentiel à 148 millions d’euros”), en est une démonstration éloquente. Des centaines de milliers de vues, et un seul message : plus ça choque, plus ça circule.
4. Refaire de la confiance une émotion
La peur ne se limite pas aux coulisses des rédactions : elle s’invite aussi à l’écran. Les chaînes d’information en continu, les scrolls sans fin sur les réseaux sociaux, les thématiques anxiogènes et les images de violence nourrissent un climat permanent de peur et de colère.
Lassé de cette négativité, un public de plus en plus large, et même certains journalistes, se tourne vers le journalisme constructif, qui met en lumière des solutions, des initiatives et des récits de transformation. C’est le cas du Média Positif, qui propose une lecture du monde moins anxiogène mais tout aussi engagée.
À rebours du flux anxiogène, cette démarche rejoint un mouvement plus large d’innovation responsable. Qu’il s’agisse de la réflexion du CNC sur une IA éthique, de la volonté de débats apaisés, ou de la défense de la presse indépendante, un fil se tisse : celui d’un journalisme qui mise à nouveau sur la confiance. Pas sur l’adhésion ou la peur, mais sur l’intelligence partagée.
Les immanquables
Deepfakes en toute impunité
Il y a deux ans, nous menions pour un grand groupe de médias une mission de prospective destinée à analyser et anticiper les bouleversements provoqués par l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle. Nous faisions déjà le constat d’un futur proche où la prolifération de sites entièrement gérés par des IA autonomes, ainsi que la montée en puissance des deepfakes. Aujourd’hui, le succès spectaculaire de Sora 2, que son propre créateur, Sam Altman, admet avoir sous-estimé, confirme à quel point nous avons basculé dans un univers toujours plus “blackmirroresque". Les géants de la tech ne s’embarrassent plus d’aucune retenue : ils exploitent massivement des contenus et des propriétés intellectuelles qui ne leur appartiennent pas, confortés par la légitimité que leur confère la masse de leurs utilisateurs.
Equator - un nouveau magazine numérique “post-américain” porté par des voix non occidentales
Annoncé en exclusivité par le média Semafor il y a pratiquement un mois jour pour jour, Equator prépare son lancement pour décentrer le récit global et amplifier des auteurs au‑delà du strict prisme occidental. Le projet veut couvrir politique, économie, culture et technologie en s’appuyant sur des contributeurs basés en Afrique, Asie, Moyen‑Orient et Amérique latine, avec une ligne éditoriale assumée: pluralité des perspectives, reporting transnational, et formats numériques conçus pour l’international. Le projet nous rappelle quelque peu le média indépendant The Dial lancé par Madeleine Schwartz qui offre des perspectives locales de par le monde avec enquêtes, reportages, essais et littérature.
Près des deux tiers des jeunes journalistes veulent devenir créateurs de contenus
Il y a quelques années, le journalisme semblait suivre des trajectoires bien tracées : rédactions, chaînes de télévision, quotidiens imprimés. Aujourd’hui, la donne est en train de changer. Près des deux tiers des jeunes journalistes aspirent désormais à devenir créateurs de contenus, selon une étude menée par l’agence Angie et l’Ifop. Une tendance qui traduit une mutation profonde du métier et l’émergence d’un journalisme résolument entrepreneurial. La légitimité des nouveaux médias progresse rapidement : plus de la moitié des répondants jugent leur qualité équivalente à celle des médias traditionnels, et 82 % estiment que les pure players digitaux offrent une valeur au moins comparable à celle de la presse écrite.
🎧 Podcast Mediarama de la semaine
François reçoit Tatiana de Francqueville pour évoquer le lancement express de La Tribune Dimanche, née en huit semaines après la crise du JDD. Avec son positionnement “nuancé, républicain et audacieux”, le journal connaît déjà un succès prometteur et vise à s’imposer comme premier hebdomadaire dominical, tout en renforçant sa présence numérique et événementielle. |
Les brèves, ressources et outils
🤖 Le AI Mode de Google déployé en Belgique : quel impact sur le trafic média ?
Google lance en Belgique son AI Mode, une recherche conversationnelle multimodale en français, néerlandais et allemand, permettant d’interagir par texte, voix ou image. Ce test européen pourrait déjà impacter le trafic des médias.
🌍 Des médias cherchent à réduire leur dépendance aux plateformes dominantes
Lors de la conférence Our Media, des médias d’Europe du Sud-Est appellent à réduire leur dépendance aux plateformes, source de compromis éditoriaux. Ils prônent des “sorties partielles” via newsletters, podcasts ou applications.
📉 Google : la plupart des sites d’infos britanniques perdent en visibilité
En 2025, la majorité des grands sites d’info britanniques ont perdu en visibilité sur Google après les mises à jour de mars et juin. Six sur dix, dont The Independent et Daily Mail, reculent, tandis que The Guardian reste en tête malgré une légère baisse.
C’est tout pour cette semaine ! Portez-vous bien et à dans 15 jours
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